J’ai déjà écrit, il y a plus de trois ans, sur le drôle d’exercice auquel se livrent les opérateurs de téléphonie mobile dans leurs communications publiques. Tous sont littéralement capables de dire une chose et son contraire, selon l’identité de la personne à qui ils s’adressent. Les discours sont souvent complètement opposés selon que le vis-à-vis est le CRTC, par exemple, ou un analyste financier.
Le professeur de l’Université d’Ottawa Michael Geist, un grand pourfendeur de l’industrie canadienne des télécommunications, en démontre un nouvel exemple.
La semaine dernière, les géants du mobile sont passés devant le CRTC, dans le cadre d’audiences sur le renouvellement du Code sur les services sans-fil. Là, on leur a posé beaucoup de questions sur la possibilité de les obliger à présenter des factures plus détaillées, qui feraient la distinction entre le prix du forfait lui-même et celui lié au remboursement de la subvention à l’achat d’un téléphone.
Rappelons que quand vous payez 200$ pour un iPhone qui se vend 800$ au plein prix, à condition de souscrire à un contrat de deux ans, c’est parce que l’opérateur vous fournit une « subvention » de 600$ qu’il se rembourse à même le prix qu’il vous facturera chaque mois pendant ces deux ans. Théoriquement, dans cet exemple, il y a donc 25$ chaque mois (600$/24 mois) qui vont au remboursement.
La logique voudrait qu’une fois les deux ans écoulés, votre facture mensuelle baisse de 25$. Mais la logique et la réalité sont deux choses différentes. Le CRTC estime qu’en forçant l’opérateur à afficher clairement ce prix de 25$ sur votre facture chaque mois, ça deviendrait plus difficile pour lui de continuer à le justifier au terme des deux ans.
Les quatre principaux opérateurs présents au Québec (Rogers, Telus, Bell et Vidéotron) ont dû répondre à des questions du président du CRTC, Jean-Pierre Blais, à ce sujet la semaine dernière. Leurs réponses étaient particulièrement évasives. Je vous copie ci-dessous celle de Bertrand Hébert, vice-président marketing de Vidéotron, telle que vous pouvez la lire dans la retranscription de l’audience. C’est un copier-coller, les fautes sont telles quelles.
JEAN-PIERRE BLAIS
J’aimerais vous donner l’opportunité, comme j’ai donné à d’autres, parce que c’est souvent une question qu’on se fait poser par les abonnés qui ont… qui se sont abonnés chez-vous dans ce cas-ci avec un appareil subventionné pour une période mettons de deux ans et qui ne voient pas leur facture diminuer après la période de deux ans.
Pour ces gens-là, je crois, je porte leur parole, ils disent, bon, y a une partie du prix pendant cette période-là qui était la subvention et après, mon tarif devrait baisser pour… parce que j’ai déjà “payé”, entre guillemets, l’appareil.
Qu’est-ce que vous leur dites à ces gens-là?
BERTRAND HÉBERT
Mais en fait, lorsque le client bénéfice d’un rabais sur son appareil, le rabais est attaché en fait au service… au service mobile et relié… relié surtout à la mensualité du forfait.
Donc de dire que le montant que le client… que le montant du bénéfice consenti réparti sur 24 mois est… correspond exactement… est inclus dans le forfait offert au client, c’est pas nécessairement exact parce que ça peut arriver par exemple pour la même mensualité, le mois suivant, où j’octrois un 200$ de plus sur l’appareil. Dans ce cas-ci, le client a bénéficié d’un plus gros rabais, pourtant je n’ai pas facturé plus en termes de mensualité.
Donc de dire que la valeur du bénéfice consenti réparti sur 24 mois de ce montant-là que, à la fin du… à la fin de son entente, que le montant devrait être réduit de la valeur du bénéfice consenti…
Ce que relève Michael Geist, en se basant sur un article du National Post qui lui-même se base sur une note écrite par l’analyste financier Maher Yaghi, de Desjardins, c’est que la réponse que donne l’industrie à ces analystes financiers est beaucoup plus claire : une telle obligation leur coûterait cher.
« À notre avis, la séparation de la facture rendrait les différents coûts plus transparents pour les consommateurs et en inciterait probablement à chercher un forfait plus économique, ce qui créerait une pression sur la croissance du revenu moyen par utilisateur dans le marché canadien », écrit M. Yaghi.
Ce ne sont évidemment pas les paroles de l’industrie elle-même, mais il est facile d’imaginer que c’est exactement ce que M. Yaghi se fait répondre dans ses contacts avec ces entreprises.
La même logique s’applique aux frais (50$ généralement) que l’on vous impose pour « déverrouiller » votre appareil, vous permettant ainsi de changer d’opérateur ou, lors de voyages à l’étranger, utiliser des cartes SIM locales. Le CRTC a aussi posé beaucoup de questions là-dessus et voici un exemple de réponse, provenant encore une fois de Vidéotron, plus précisément d’Antoinette Noviello, directrice générale et contrôleur corporatif de Vidéotron. Elle tente de justifier le montant facturé.
ANTOINETTE NOVIELLO
Alors, dans le fond, on a à maintenir une base de données de tous les codes nécessaires pour déverrouiller les appareils. Ces listes nous sont fournies par les fournisseurs, donc on a quand même un maintien, un courriel rattaché aux bases de données. Deuxièmement, un client doit contacter le service à la clientèle soit par téléphone ou par l’entremise d’une de nos boutiques. À ce moment-là, nous devons escalader un deuxième niveau pour justement garder la confidentialité des codes, et tout ça engendre des couts pour l’organisation.
Dans un monde idéal, le code est… dans la plupart des cas, le code est disponible au moment de la demande, mais il nous arrive de ne pas recevoir les codes de nos fournisseurs. À ce moment-là, nous avons à rentrer en contact avec nos fournisseurs et ça pourrait prendre quelques itérations et de suivi de la part de nos conseillers pour obtenir les codes. Donc, le frais du service pour le client qui le demande est en fonction aussi des efforts qui… et des couts réels pour l’organisation.
Ça diffère beaucoup de l’hypothèse soumise par M. Yaghi, de Desjardins.
« Nous croyons que la politique actuelle réduit le taux de roulement et fait augmenter la rétention des consommateurs, diminuant la compétition légèrement. Cela permet aussi aux opérateurs de générer des profits sur les frais d’itinérances imposés aux consommateurs qui voyagent. »